Wendy – vieillir ne peut attendre

Un des avantages d’avoir manqué la première œuvre d’un réalisateur qui décline sa patte et son univers, quelle que soit son histoire, est qu’il est impossible de le taxer de cossard. Et c’est tant mieux car je ne voudrais pas mettre des bâtons dans les roues d’une œuvre qui m’a embarqué dans son train de l’imaginaire sinistre.

L’action de Wendy, qui est une nouvelle relecture de Peter Pan, se déroule dans le sud des Etats-Unis, difficile à temporaliser et à géolocaliser avec précision, si ce n’est un territoire rural, multiracial et une enfance passée dans un lounge géré par la mère de Wendy et de ses frères jumeaux (Douglas et James). Lors d’une nuitée en proie à l’ennui et le manque d’histoire à raconter, la fratrie décide de s’en aller par les fenêtres de leur chambre vers l’au-delà en se saisissant du Kairos au passage d’un train. Attirés par la fureur de vivre de Peter Pan, ce jeune noir à l’épée (cher à Abd Al Malik), les enfants sont lancés en direction du Pays Imaginaire (Neverland en VO). Bien que la caméra soit à hauteur d’enfants jusqu’ici et le sera jusqu’au bout, le regard porté sur ces derniers est éminemment celui d’un adulte, davantage fougueux que gâteux.

Représenté modestement, sans une utilisation excessive de CGI, le Pays Imaginaire est une île foisonnante et tangible sur laquelle les geysers irradient aussi bien la forêt, les plaines herbeuses, que les plages ombragées. Grâce une approche esthétique rétro et poétique tantôt sombre et lente, tantôt éclairée et vivace, Benh Zeitlin montre le bouillonnement de l’enfance, son innocence salvatrice ainsi que la peur du monde des grands qui est un fléau. Bien que s’incarnant dans le corps, le virus qui peut les atteindre est d’abord mental : vieillir c’est perdre son innocence. La menace est constamment présente, en attestent les grandes ombres des corps des enfants projetés contre le pan rocailleux, prêtes à les dévorer. À travers ce qui s’apparente premièrement à un voyage idyllique, le drame frappe, avec violence même. Les enfants qui font face au deuil subissent le syndrome du glissement, les âmes errent, les peaux se flétrissent, les émotions s’assèchent. Parqués dans une enclave aride et poussiéreuse qui rappelle les bidonvilles, les vieux esprits désabusés ne sont plus nourris par la Pachamama, cette mère nature protectrice représentée par une splendide baleine. La lumière du monde n’atteint plus leurs esprits sombres.

Indéniablement, ce long-métrage charrie une tonalité grave. Bien que la voix off soit de trop, les phrases dictées par Wendy offrent son regard sur la situation, notamment sur celle de l’origine de la création du Capitaine Crochet (invention excitante). Elle dit : « Son cœur s’est fendu en deux et toute la joie en est sortie. » L’enjeu central et narratif sera du ressort de Wendy (envoutante Devin France) dont la mission principale sera de colorer les âmes, de rendre les corps mobiles et de réanimer les séniles nomades en de véritables êtres vivants, innocents et joyeux parce que vieillir n’est pas une tare. Preuve que ce long-métrage n’est pas manqué, l’angoisse du temps qui passe ne se fait pas ressentir. Le Pays Imaginaire est toujours présent…

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