La Panthère des neiges – L’affût enchanté

Copyright Haut et Court

Jusqu’alors, je n’avais du souvenir de lecture du livre éponyme de Sylvain Tesson qu’un duo : lui, le virevolteur de mots, celui aux semelles de feu qui a écumé le monde et ses angles morts (Sylvain Tesson) et le musicien de l’œil, celui à la gâchette sensible (Vincent Munier), tous deux lancés dans la course effrénée du ralentissement corporel et du ravissement intemporel. De cette expérience de l’affût qu’il souhaite transformer en art de vie, Sylvain Tesson tira de cette quête tibétaine un récit congratulé par le Prix Renaudot (La Panthère des Neiges), tandis que le second en tira des photographies exceptionnelles. Pourtant, dissimulée dans les hauts plateaux himalayens, dans les commissures des montagnes rocheuses, dans les plis du tapis neigeux, Marie Amiguet, telle une panthère des neiges, a utilisé la parure de sa caméra pour se dissimuler sobrement dans cette aventure et donner du relief aux raz-de-marée de ces contrées lointaines.

Copyright Haut et Court

L’expérience de la troupe exilée s’apparente à celle du spectateur de cinéma. Dès lors qu’il s’installe dans le fauteuil rouge, le spectateur, plus ou moins paresseux, surtout le moins paresseux, est à l’affût du moindre détail, celui furtif qui échappe à l’attention, celui qui se dérobe dans le plan suivant, le psychédélique ainsi que celui qui est tellement visible qu’on ne le discerne plus. Preuve en est que l’affût (virtuel tout du moins) n’est pas mort, les formats « Faux raccords » et « Aviez-vous remarqué ? » de Michel & Michel diffusés sur Allociné sont un franc succès sur le monde tout aussi dissimulé et non exploré d’Internet.

Copyright Haut et Court

« Syndrome banal : un être vous manque, le monde prend sa forme. » Ce documentaire polymorphe se joue justement des formes, des courbes aguicheuses qui éprouvent le souffle des vagabonds, des sons captés et enregistrés comme la merveilleuse musique originale réalisée par Warren Ellis et Nick Cave qui caressent ces paysages ainsi que les voix complices de Vincent Munier et Sylvain Tesson à laquelle s’ajoute la voix off du dernier qui, par parcimonie (et on le remercie), courbe les mots pour nous faire don de métaphores stellaires. À plus de 4500 mètres d’altitude, le semeur de vent et l’exhausteur de vue offrent une mélodie immersive qui fait de l’affût un art enchanté où le monde invisible devient visible, où la nature qu’on croyait morte est incommensurablement pleine de vie. C’est comme si la mélopée flûtée de Mozart réveillait l’humanité ensommeillée en nous.

La Panthère des neiges est un film qui nous rappelle que c’est nous qui venons frapper à la porte alors que c’est la nature qui est dehors, que c’est nous qui avons les clés et que nous attendons pourtant qu’elle ouvre…

2 réflexions sur “La Panthère des neiges – L’affût enchanté

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