Passion simple – Hélène et le garçon

L’exercice de l’adaptation cinématographique est périlleux, peut-être autant que celui de la critique même si, ni impératifs artistiques ou économiques ne sont en jeu dans ce dernier. La critique s’avère d’autant plus hasardeuse quand le visionnage du long-métrage survient seulement deux jours après la fermeture du roman éponyme d’Annie Ernaux. Le voyez-vous venir gros comme une maison, même si je suis aussi fluet qu’un pied de chaise, cet homme devant son écran d’ordinateur, qui conjugue banalités et indécisions, parce que, pour être totalement honnête, il ne sait pas véritablement quoi penser de ce quatrième long métrage de fiction réalisé par Danielle Arbid.

A partir du mois de septembre l’année dernière, je n’ai plus rien fait d’autre qu’attendre un homme : qu’il me téléphone et qu’il vienne chez moi. Tout de lui m’a été précieux, ses yeux, sa bouche, son sexe, ses souvenirs d’enfant, sa voix…

Avant tout développement, je pose ça là, sachez que j’espère sincèrement être meilleur amant que spectateur. Quel début laborieux (de critique et de film). Etais-je encore endormi, trop fatigué de ma nuit anxiogène passée en compagnie de la bipolarité d’Emmanuel Carrère retranscrites dans Yoga ? Quel hasard d’ailleurs d’avoir terminé Passion Simple d’Annie Ernaux, d’enchaîner avec Carrère et replonger, mais cinématographiquement cette fois-ci dans du pseudo-Ernaux. Ici, premier point positif pour le film, Danielle Arbid, la réalisatrice, plonge son héroïne dans une époque contemporaine. Ce film qu’on pourrait intégrer à la catégorie des adaptations commentaires, c’est-à-dire les démarches visant à respecter l’œuvre initiale tout en prenant des libertés, en l’occurrence ici, un déplacement du cadre temporel. Le téléphone portable a fait son apparition et le personnage, en plus d’avoir une amie avec qui elle peut communiquer, est mère d’un jeune enfant dont elle devra s’occuper. Ces trois ajouts sont des ressorts scénaristiques qui permettent d’embellir le quotidien, de donner aussi corps et actions aux pensées d’Annie Ernaux dans le roman. A. le fameux amant russe mystérieux et captivant joué par Serguei Polunin est affublé d’un nom : Alexandre. Même Annie Ernaux a un nom : Hélène Auguste (Laetitia Dosch enivrante). Ainsi, l’ensemble de ces éléments permettent, premièrement d’offrir une recontextualisation de l’œuvre originelle et deuxièmement d’en exploiter la matrice en traduisant cette attente insoutenable à travers un portable silencieux, la présence fantomatique de Hélène par ses manquements à l’attention de son fils.

J’ai commencé mon paragraphe précédent en soulignant le caractère laborieux du début de visionnage tout en m’évertuant par la suite, à énumérer les points positifs. Cette construction boitillante atteste bel et bien ma difficulté à restituer mon sentiment. La maladie dont Emmanuel Carrère est atteint, celle que je lis dans Yoga au moment de l’écriture de cette critique, qui le fait osciller entre le yoga et la dépression, entre le chaud et le froid, entre le yin et yang, serait-elle aussi omniprésente dans cette critique incertaine ? D’ailleurs, parenthèse dans la parenthèse, j’espère aussi sincèrement être meilleur amant que critique… Donc, revenons-en à nos bêtes sexuelles et à ce que j’ai moins, voire pas du tout apprécier. Tout d’abord, quitte à réutiliser les mots d’Annie Ernaux dans la bouche de Hélène, pourquoi ne pas l’avoir nommée Annie ? Tout simplement. De plus, lire Annie Ernaux, c’est avoir de l’affection pour une écrivaine qui se met en scène dans ses propres romans d’autofiction, avec le capital amical du lecteur pour elle et tout le talent littéraire avec lequel elle opère son art. Alors que j’en étais venu à attendre les venues de A. dans le roman, je suis dans le long-métrage beaucoup plus intéressé par ses absences. Les scènes d’amour n’inventent rien dans le langage cinématographique et ces dernières manquent de chaleur, de désir, de fusion, d’effusion, de violence ?, d’un grain c’est certain. De vêtements me direz-vous ? Tant mieux ! Mais, trop longtemps durant le film, l’unique outil utilisé pour montrer sa perdition est un ralenti balourd qui filme Hélène dans un centre commercial. Serait-ce le seul lieu dans lequel s’inscrit l’héroïne ? Et la musique qui se calque sur les larmes, ça va merci. Puis, tout cela se délite, comme la relation d’Hélène avec son cavalier russe, et on en vient à apprécier se perdre avec elle, en sa compagnie, à Paris comme en Russie, en passant par l’Italie à relooker les plis de fessiers des statues romaines, puis aussi par les réactions des autres, l’intervention de son ex-mari, son passage chez le médecin, la tristesse engendrée par la solitude d’un enfant abandonné ou foutu à la porte.

Certes, Cannes soutient le film en l’ayant fourré dans sa sélection officielle 2020, mais cela reste bien plus facile à faire pour Thierry Frémeaux quand le festival se joue à l’extérieur. Pas sûr que ce film convainc les fans d’Annie Ernaux, pas plus que je parvienne à m’auto-persuader que j’ai des amants.

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